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Procès du Mediator Les stratégies d’influence de Servier

Procès du Mediator

 

Les stratégies d’influence de Servier

Au procès Mediator, les anciens hauts cadres de l’Agence du médicament ont été sommés de s’expliquer sur leurs liens avec les laboratoires Servier. Compte-rendu.

 

Le dernier volet de l’affaire Mediator (benfluorex), celui de la prise illégale d’intérêt, est ouvert depuis fin février devant le tribunal judiciaire de Paris. Ont été entendus d’anciens hauts responsables de l’Agence du médicament (Afssaps à l’époque, ANSM aujourd’hui), en poste pendant la période des années 1990 et 2000 où le Mediator est sur la sellette. Leurs relations avec les laboratoires Servier étaient si étroites qu’aussitôt l’Agence quittée, ils ont été embauchés et rémunérés comme consultants par Cris, une société œuvrant pour la firme.

Jean-Michel Alexandre, brillant et influent pharmacologue, longtemps directeur de l’évaluation à l’Afssaps, en fait partie. Dès qu’il quitte ses fonctions, le 31 décembre 2000, il s’empresse de signer un contrat avec Cris, mandatée par Servier, afin d’analyser des dossiers de médicaments. Il touche, entre 2001 et 2009, la somme de 1,2 millions d’euros. Son rôle, il l’assure, se limite à « donner des avis scientifiques, pas des conseils pour passer entre les gouttes. Cela ne portait aucunement ombrage aux activités et aux performances de l’Agence ». N’empêche, il assiste activement les laboratoires Servier dont, jusque-là, dans ses fonctions à l’Afssaps, il contrôlait les produits. Pour ce type de prestations, la loi impose normalement, à l’époque, un délai de 5 ans. Jean-Michel Alexandre affirme qu’il avait obtenu le feu vert de la Commission de déontologie de la fonction publique pour sa reconversion professionnelle. Or celle-ci s’était déclarée incompétente.

Jean-Michel Alexandre est aussi celui qui, en 2003, embauche à l’Afssaps Éric Abadie, qui travaille alors pour… le syndicat de l’industrie pharmaceutique. L’homme, aujourd’hui décédé, conserve des liens avec son ancien milieu. Non seulement il fait partie des « cibles » des laboratoires Servier, mais son épouse, Marie-Ève Abadie, est embauchée comme avocate de la firme, pile au moment où il exerce à l’Agence. Prévenue pour recel de prise illégale d’intérêts, elle affirme que son mari ignorait tout de ses clients. Lui-même a dit lors de l’instruction ne pas s’intéresser aux activités professionnelles de sa femme. Difficile à croire, quand Servier rapporte près de 2 000 € par mois entre 2004 et 2008 au cabinet de Marie-Ève Abadie !

Charles Caulin est un autre exemple de transfert vers l’industrie. Président de la Commission d’autorisation de mise sur le marché (CAMM) entre 1993 et 2003, il passe, lui aussi, rapidement de l’autre côté. Quelques mois après son départ de l’agence, il devient consultant pour les laboratoires Servier. En échange de son aide pour obtenir les autorisations de mise sur le marché, il touche de leur part 50 000 € par an, par l’intermédiaire de FC Consulting, une société dirigée par son épouse.

DES EXPERTS PAYÉS PAR SERVIER

Les experts externes de l’Afssaps constituaient une autre cible privilégiée des laboratoires Servier. Médecins des hôpitaux, éminents spécialistes, ils siègent dans les instances et prennent part aux décisions, en contrepartie d’une rémunération parfaitement symbolique. Beaucoup d’entre eux sont également payés par l’industrie, ce qui n’était et n’est toujours pas proscrit. Mais il faut en faire état, via une déclaration d’intérêt, que l’Afssaps a peiné à imposer. Lionel Bénaiche, le magistrat en charge de la déontologie à l’Agence, est venu en témoigner : les experts étaient très réticents, et il n’y avait ni contrôle des déclarations, ni sanctions. « On travaillait pour les gens les plus honnêtes, ceux qui omettaient des liens ne venaient pas nous voir », a-t-il expliqué, fataliste.

Lors des réunions, les experts externes sont également tenus de sortir quand vient le moment de statuer sur le produit d’une firme avec laquelle ils ont des liens. Une contrainte loin d’être appliquée, comme l’a montré l’enregistrement diffusé à l’audience d’une commission d’autorisation de mise sur le marché de 2007 où le Mediator est évoqué. La séance débute par un rappel : « Les personnes qui auraient des liens qui s’apparenteraient à des conflits d’intérêt avec la firme Servier pour le Mediator ne sont pas censées participer aux débats. » L’oratrice ne demande pas explicitement de quitter la salle, et pendant le silence qui suit, aucun bruit de chaise ou de porte ne signale une quelconque sortie.

Michel Detilleux, professeur en médecine interne, membre de la CAMM de 2003 à 2012 tout en étant consultant pour Servier, confirme qu’il se contentait de se « déporter » : il ne prenait pas part aux débats, ni ne votait quand une spécialité de Servier était au programme. Il s’autorisait toutefois à communiquer la teneur des discussions aux laboratoires Servier, alors qu’il était tenu au secret : une note retrouvée chez l’industriel conserve la trace d’une remise en question de l’utilité du Mediator par l’Agence, Michel Detilleux enchaînant sur « l’association metformine/benfluorex », seule à même de « sauver le produit ».

Bernard Rouveix, infectiologue siégeant à la CAMM entre 2004 et 2010, partageait également largement ses informations avec Servier. En 2007, au moment où ça tangue fort pour le Mediator, il rédige une note pour le maintien de l’indication du diabète en s’aidant des informations diffusées lors de la CAMM : « Je pensais bien faire. Pour nous, médecins, la science ne doit jamais être secrète », a-t-il déclaré devant les juges. « Je n’ai pas divulgué d’éléments compromettant la santé publique, je n’en ai pas tiré profit. »

Les contours du conflit d’intérêt sont manifestement très flous pour lui qui, également expert judiciaire, n’a pas vu d’objection à se prononcer sur le cas d’une patiente sous Dépakine (valproate de sodium) alors qu’il était rémunéré par Sanofi.

Anne-Sophie Stamane

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