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Visite à un proche âgé Un flou qui laisse trop de place à l’arbitraire

Visite à un proche âgé

 

Un flou qui laisse trop de place à l’arbitraire

Les situations admises de déplacements dérogatoires au principe du confinement ne sont pas toujours précisément définies, ce qui a déjà conduit à des verbalisations injustifiées. Le cas des visites aux proches vulnérables, lourd d’enjeux éthiques, est à cet égard exemplaire.

 

Une porte s’est ouverte le 19 avril lors de la conférence de presse d’Édouard Philippe et d’Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé : les personnes souhaitant rendre visite à des proches vivant en Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) pourront désormais le faire sous certaines conditions. Mais pour celles dont les parents âgés vivent toujours à leur domicile, aucun assouplissement n’a été annoncé. Pourtant, l’isolement prolongé dû à l’épidémie de Covid-19 peut aussi les mettre en danger, les syndromes dépressifs pouvant avoir des conséquences somatiques fatales dans le grand âge.

Lorsqu’on sent que le confinement pèse trop lourd sur un parent âgé, a-t-on ou non le droit de se rendre auprès de lui pour lui apporter un peu de réconfort ou d’aide matérielle ? Le message que la plupart des citoyens ont cru entendre depuis le 16 mars est : non, c’est impossible. En témoigne par exemple le courriel envoyé par un internaute en réponse à notre appel à témoignages : « Ma mère a 97 ans, elle vit seule chez elle et est autonome mais le confinement est une maltraitance psychologique majeure pour les personnes dans sa situation. Si je comprends bien les recommandations officielles, je n’ai pas le droit de me rendre auprès d’elle pour lui prêter temporairement assistance. »

 

INFORMATIONS CONTRADICTOIRES

Ce n’est pas le site du gouvernement (1) qui éclairera ceux qui s’interrogent. À la question « Puis-je rendre visite à une personne âgée ? », la réponse est : « Non : les visites aux personnes fragiles et âgées à domicile sont suspendues. » Mais à la question : « Puis-je aller auprès de parents dépendants ou de proches ? », la réponse est : « Oui mais uniquement pour vous occuper de personnes vulnérables […] en vous rappelant que les seniors sont les personnes les plus vulnérables. » Que tirer de ce méli-mélo d’informations contradictoires ? À partir de quel moment une personne « fragile et âgée » devient-elle une personne « vulnérable » ? Et surtout, en cas de contrôle, comment un policier ou un gendarme peut-il évaluer cette vulnérabilité ? Cela paraît impossible et le cas médiatisé de cet habitant du Loir-et-Cher interdit d’aller voir son père mourant sur l’île de Ré, et qui n’a donc pu assister à ses derniers instants, n’a pas de quoi rassurer.

 

APPRÉCIATION SUBJECTIVE

Contacté, le ministère de l’Intérieur assure que l’attestation sur l’honneur (en cochant la case déplacement pour motif familial impérieux) suffit. Puis finit par admettre qu’un justificatif de domicile de la personne visitée serait bienvenu. Mais, outre que les personnes âgées ne sont pas toutes, loin de là, équipées d’un scan et d’un accès à Internet pour faire parvenir ce document à leur proche, un tel document n’a rien à voir avec la vulnérabilité.

« On constate un flou artistique qui est anormal, déplore Maître Louis le Foyer de Costil, avocat spécialiste de droit public. Il existe un principe en droit : toute infraction doit être définie de manière claire. En l’occurrence, on aurait pu préciser qui on considère comme personnes vulnérables, car c’est une notion éminemment subjective, mais aussi établir une liste, pas forcément limitative, de preuves admissibles : pièce d’identité renseignant sur l’âge ou certificat médical, par exemple. Faute de quoi, on est soumis à l’arbitraire des policiers, qui eux-mêmes ne sont pas à l’aise, d’autant que l’absence de clarté au niveau central aggrave le risque que les directives locales soient contradictoires. » De fait, en cette période de vacances scolaires, les forces de l’ordre de certains départements littoraux semblent avoir reçu des consignes de sévérité pour éviter les séjours à la mer déguisés en visites au grand-père cacochyme. Au-delà des consignes données par la hiérarchie, cette imprécision laisse un champ considérable à l’appréciation subjective du policier ou du gendarme. C’est la porte ouverte à des injustices d’autant plus cruelles que les personnes sont déjà affectées par l’état de santé de leur parent. « Au-delà de l’atteinte possible aux libertés, ce flou n’est pas souhaitable non plus d’un point de vue sanitaire car les sanctions risquent de ne pas être comprises », poursuit l’avocat. Or l’adhésion de la population est indispensable pour que le confinement soit efficace.

En pratique, si vous devez rendre visite à un proche âgé, vous aurez soin (outre le respect scrupuleux des gestes barrières) de réunir un maximum de preuves de votre bonne foi. La plus convaincante reste une attestation du médecin traitant précisant la nécessité d’assistance. Faute de quoi, tout document prouvant son adresse (pour justifier votre itinéraire), son âge, son état de vulnérabilité (santé physique et psychologique) peuvent être utiles. Si vous estimez être verbalisé à tort, ne réglez pas l’amende immédiatement car cela vaut reconnaissance de l’infraction et contestez-la en respectant la procédure.

 

(1) https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus

Fabienne Maleysson

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